Cela est rarement évoqué, l’immigration est d’abord un drame pour les immigrés. Beaucoup, forcés de partir, sont poussés par la pauvreté et prennent pour argent comptant les propos de ceux qui rentrent en cachant leur misère par des descriptions merveilleuses de leur vie en France.
L’intégration réussie supposerait d’abord que le candidat à l’immigration parte de chez lui avec une idée claire de sa propre identité, avant d’accepter, fort de cette certitude, d’abandonner une partie de ce qu’il est, en échange de ce qu’il devra être dans son pays d’accueil. Trois observations rendent impossible cette synthèse idéale. Les immigrés viennent le plus souvent de régions pauvres dont ils sont chassés par la misère ou les guerres ; il paraît bien difficile d’adopter des repaires identitaires précis dans de telles circonstances. D’autre part, dans le monde moderne le modèle de l’identité unique et stable recule au profit d’un faisceau identitaire multi-culturel. Enfin, celui qui quitte sa terre trouve souvent un point de chute dans les familles de son ethnie, poussé par les politiques de peuplement des HLM qui favorisent les regroupements par origine. Si bien que la communauté reste souvent le seul moyen d’insertion du nouvel arrivant.
Dès lors, quelle manifestation d’intégration attend-on du nouveau venu ? Qu’il devienne comme les autres ou qu’il apporte sa contribution au faisceau identitaire ? Qui fait le plus obstacle à l’intégration : un petit voyou qui vole une mobylette ou une opinion publique qui rejette comme étranger tout ce qui ne lui ressemble pas ? Trente mille Japonais vivent de manière permanente en France ainsi que cent mille Nord-Américains. Leur demande-t-on de s’intégrer ? Evidemment non. Pourtant, beaucoup d’entre eux ne parlent pas le français, pratiquent une autre religion, écoutent une musique différente et mangent d’autres nourritures.
Le fond de la question de l’intégration part donc bien d’une dissymétrie des cultures entre pays pauvres et pays riches. Les pays riches sont sensés ne pas poser de difficulté d’intégration. Les pays pauvres, quel que soient l’ancienneté et la grandeur de leur culture, oui.
En France, la politique et le droit ignorent en principe toute appartenance ethnique. L’intégration est un processus que l’on fait vivre à ceux qui arrivent parce qu’il a été suivi par ceux qui ont précédé, c’est une démarche qui évolue à chaque génération et qui commence par des relations de bon voisinage, par l’intégration à une communauté de proximité.
Ce qui est demandé aux immigrés, c’est d’accepter les devoirs et les droits inscrits dans les lois. Pas nécessairement l’ensemble des comportements, valeurs culturelles, esthétiques, morales, ou mœurs, à partir du moment où les leurs ne sont pas, individuellement, contraires aux lois. On parle donc bien là d’intégration politique, c'est-à-dire l’acceptation des lois voulues par les Français comme condition première de l’intégration.
Au-delà, l’immigration inquiète car, dans la vie de tous les jours, elle pose concrètement la question de la cohabitation avec d’autres personnes qui n’ont pas les mêmes habitudes de vie, au sens large. L’inquiétude véhiculée par les fantasmes d’envahissement porte sur la question de l’appartenance à un même groupe, à une même Nation. Etre Français par le droit du sol serait alors plus exigeant, moins immédiatement acceptable, que d’être Français par la seule filiation ? Etre Français c’est porter la volonté de vivre ensemble, reliés par quelques grands principes émancipateurs. C’est un concept abstrait qui, confronté au quotidien à des comportements ou à des habitudes qui dérangent, n’a rien d’immédiat et d’évident.
Contrairement à beaucoup d’idées reçues, la majorité des immigrés présents en France depuis plusieurs années se considèrent comme des Français. Ils sont d’ailleurs souvent désignés comme tel par les nouveaux arrivants, même si souvent ils n’ont aucune chance d’être naturalisés, ni par l’administration et souvent moins encore par le reste de la population française.
En supprimant toute possibilité de régularisation après dix ans de présence sur le territoire, les lois Sarkozy - Ministre de l'Intérieur et Président de la République - ont carbonisé le légitime espoir des émigrés d’être intégrés un jour de plain-pied dans la société française. Ces lois électoralistes sans courage, faites pour séduire les électeurs du FN, ont crée une désespérance fatale à la relation sociale là où il aurait été essentiel pour l’avenir du pays que domine l’espoir d’une intégration réussie.
Les fondamentalistes de tout poil l’on bien compris, et c’est sur ce terreau hostile à l’intégration qu’ils cultivent la mauvaise herbe du repli identitaire ou de l’archaïsme en fustigeant la culture occidentale, ses musiques, ses structures familiales, ses modes alimentaires, culturels et vestimentaires … en définitive, toute capacité à assimiler les différences.
La culture appartient à celui qui la défend - André Malraux.